Mamadou A. Barry: «L'erreur d'Alpha Condé est d’avoir créé une unité de force spéciale sans contrôle»
Les militaires au pouvoir en Guinée est une longue histoire, qui date de 1984 et qui pourrait bien durer encore plusieurs années. Avec le livre-enquête L'armée guinéenne, Comment et pour quoi faire ?, publié chez L'Harmattan, l'ancien officier franco-guinéen Mamadou Aliou Barry nous emmène dans les coulisses de cette armée dont beaucoup de Guinéens ont peur. Comment quelques centaines de militaires ont-ils réussi à renverser le régime d'Alpha Condé en quelques heures ? Comment réconcilier le peuple guinéen et son armée ? Mamadou Aliou Barry répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI : Mamadou Aliou Barry, dans votre livre, vous rappelez que le coup d'État de septembre 2021 contre le président guinéen Alpha Condé, a été opéré par les forces spéciales du colonel Doumbouya. Et vous dites que ces forces spéciales avaient été créées quelques années plus tôt, à la suite de l'attentat terroriste de mars 2016 à Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire. Pourquoi cet élément déclencheur ? Mamadou Aliou Barry : alors, ce qui s'est passé, c'est que quand il y a eu l'attentat de Grand-Bassam, la France s'est approchée des États côtiers, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Bénin pour leur proposer de mettre en place des forces spéciales pour lutter contre le terrorisme. Parce que l'attentat de Grand-Bassam, ça a frappé tous les gens de la sous-région. La création des forces spéciales, c'est une très bonne idée. Mais le seul problème, c'est quand on crée des unités comme ça, est-ce qu'il faut les mettre sous la coupe directe du président de la République ou sous la coupe de l'état-major des armées ? Et c'est là que vous dites qu'Alpha Condé a commis l'une de ses plus grandes erreurs, c'est de ne pas avoir confié ces nouvelles forces spéciales à l'état-major général des armées guinéennes ? Tout à fait. C'est-à-dire en fait, là, c'est la première fois que Monsieur Alpha Condé crée une unité des forces spéciales qui ne relève que de lui. Vous dites que le loup rentre dans la bergerie ? Tout à fait. À mon avis, l'erreur qu'il a commise, c'est de mettre en place une unité des forces spéciales, de leur donner tous les moyens, et puis de ne plus les contrôler. Et surtout, si, derrière, dans le contexte ouest-africain, le Mali a eu un coup d'État, c'est le commandant des forces spéciales qui a pris le pouvoir. Donc, vous vous posez la question de dire : « bon, est-ce que moi-même, j'ai la maîtrise de cette unité ? » Dans votre livre, vous racontez que c'est par un officier supérieur de la gendarmerie guinéenne que l'ancien légionnaire français Mamadi Doumbouya est introduit auprès du président Alpha Condé. Et vous racontez qu'ensuite, le président envoie cet officier dans de multiples formations militaires en Afrique de l'Ouest et en Europe, et vous précisez même que, lors d'une de ses formations, il fait la connaissance d'un certain colonel malien Assimi Goïta ? En fait, ils se sont rencontrés en 2017. C'est-à-dire qu'il n'y a pas que la France qui s'est occupée des forces spéciales. Je le dis dans mon livre, les Américains organisent régulièrement des manœuvres destinées aux forces spéciales ouest-africaine « Flintlock ». Voilà, C'est dans ce cadre que le commandant Goïta et le colonel Mamadi se sont rencontrés au Burkina en 2017 et se sont liés d'amitié. Le général Brice Oligui Nguema, qui a pris le pouvoir au Gabon il y a deux ans, nous a confié un jour qu'il connaissait très bien le colonel Mamadi Doumbouya depuis plusieurs années. Donc, c'est tout un réseau d'officiers africains qui se connaissent ? Il faut savoir quand même que, quand on prend le parcours du général Doumbouya, quand monsieur Alpha Condé l'a pris, avant même de le mettre à la tête des forces spéciales, il lui a fait faire beaucoup de formations, notamment en Israël et notamment au Gabon et à l'école de guerre à Paris. Cela dit, c'est quelqu'un quand même qui a eu une excellente formation. En conclusion, vous dites dans votre livre que, pour réconcilier l'armée et la nation dans un pays comme la Guinée, il faut restructurer l'armée. Mais comment ? En fait, à chaque fois qu'il y a une crise politique en Guinée, quand l'armée prend le pouvoir, l'opposition vient saluer la prise du pouvoir par les militaires en disant bravo ! C'est ce qu'il s'est passé en 2021 ? 2021, 2010, au temps de Dadis Camara. Mais quand vous prenez tous les programmes des partis politiques, il n'y a aucune réflexion qui est faite sur le rôle, les missions d'une armée, si on arrive au pouvoir. Et c'est ça qui est étonnant. C'est-à-dire ça m'a toujours frappé ça. Il faut absolument que, dans ce pays, on arrive à réfléchir en disant qu'est-ce qu'on fait de l'armée ? Et puis surtout arriver à un contrôle civil de l'outil militaire, c'est-à-dire un pays comme la Guinée aujourd'hui, je prends un exemple très simple, si vous voulez réconcilier l'armée et la population, il faut impliquer l'armée dans des actions visibles pour la population. Et dans le livre, je donne deux exemples. Je dis, le génie militaire, si dans les villages qui sont enclavés, avec des ponts qui n'existent pas ou qui sont défaillants, on envoie le génie militaire qui s'occupe de désenclaver. De construire des ponts, des routes ? Tout à fait. Vous prenez le service de santé des armées. Il y a des villages entiers où il n'y a pas de médecin-vétérinaire, il n’y a pas de médecin. Si le service de santé des armées est impliqué dans la politique nationale de santé publique, les gens vont dire, mais oui, l'armée, on reconnaît. Et puis ce que je dis, le plus important dans mon livre, c'est que si vous prenez ce qui se passe au Sahel, en Guinée, partout, le renseignement est inexistant. Donc, je préconise, il faut mettre en place une vraie académie du renseignement où on recrute des jeunes analystes sortant des universités. À lire aussiGuinée: 51 partis politiques «certifiés» mais pas l’UFDG de Cellou Dalein Diallo ni le RPG d'Alpha Condé